A la suite de la décision de la Commission européenne condamnant l’entreprise Scania pour sa participation au cartel des camions (Commission européenne, 27 septembre 2017, AT.39824), le Tribunal de l’Union européenne rejette le recours en annulation formé par cette dernière, confirmant ainsi sa condamnation au paiement d’une amende de 880 millions d’euros (TUE, 2 février 2022, T-799/17).

Pour rappel, pendant près de 14 ans, entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011, plusieurs constructeurs de camions se sont entendus dans toute l’Europe sur le prix de vente de leurs camions de plus de 16 tonnes, engendrant des surcoûts de 10 à 15 % répercutés sur le prix payé par leurs clients.

Tandis que les cinq autres entreprises parties à l’entente (MAN, Volvo/Renault, Daimler, Iveco et DAF) ont accepté la procédure de transaction, Scania, d’abord partie à cette procédure s’en est ensuite retirée à l’issue de discussions avec la Commission européenne, qui a de fait, poursuivi la procédure administrative ordinaire en matière d’ententes à l’égard de cette dernière. Par conséquent, la Commission Européenne a suivi une procédure dite « hybride », jusqu’à sa décision de sanction.

Devant le Tribunal, Scania conteste d’une part, la légalité de cette procédure qui serait, selon elle, contraire aux droits de la défense, à la présomption d’innocence et au devoir d’impartialité.

Le Tribunal rappelle donc la légalité de cette procédure « hybride » en estimant d’abord que le « seul fait que les destinataires de la décision de transaction [aient] admis leur participation à l’infraction et ont reconnu leur culpabilité ne saurait conduire à la reconnaissance implicite de la responsabilité de Scania en raison de son éventuelle participation à ces mêmes faits » (point 127).

Par ailleurs, pour le Tribunal, aucune violation des droits de la défense ne pouvait découler du fait que Scania n’ait pas été entendue dans le cadre de la procédure ayant aboutie à l’adoption de la décision de transaction (point 162). Enfin, la Commission n’étant pas liée par les constatations factuelles et juridiques qu’elle a retenues dans la décision de transaction, le Tribunal confirme que celle-ci a respecté son devoir d’impartialité à l’égard de la partie ayant fait le choix de ne pas transiger.

D’autre part, dans l’objectif de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée, Scania remet en cause la qualification d’infraction unique et continue retenue par la Commission.

Cette qualification est loin d’être anodine, puisque s’agissant des infractions continues ou répétées, la prescription quinquennale ne court qu'à compter du jour où l'infraction a pris fin (Art. 25, 2° du Règlement (CE) n°1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE, devenus 101 et 102 du TFUE).

Or, Scania fait valoir qu’elle n’a pas activement pris part à l’entente pendant certaines périodes, à savoir entre le 3 septembre 1988 et le 3 février 2000, ainsi qu’entre le 20 novembre 2001 et le 10 avril 2003.

Selon Scania, « une infraction unique et continue ne peut pas englober des comportements qui ne constituent pas une infraction en soi » (point 203). Par conséquent, en prenant en compte les périodes d’interruption de l’infraction, l’imposition d’une amende devrait être prescrite pour toute infraction antérieure au 10 avril 2003 et la décision de sanction n’aurait dû se fonder que sur les pratiques intervenues à partir du 10 avril 2003 et ayant pris fin le 18 janvier 2011.

Toutefois, le Tribunal rappelle que l’infraction unique et continue est qualifiée lorsqu’il peut être démontré que les différents agissements identifiés s’inscrivent dans un plan d’ensemble visant à la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique (point 208).

Il confirme ainsi le raisonnement de la Commission qui a qualifié à suffisance de droit l’infraction unique et continue sur la période 1997/2011, et rappelle que « le fait que la preuve directe de la participation d’une société à cette infraction pendant une période déterminée n’a pas été apportée ne fait pas obstacle à ce que cette participation, également pendant cette période, soit constatée, pour autant que cette constatation repose sur des indices objectifs et concordants, l’absence de distanciation publique de cette société pouvant être prise en compte à cet égard » (point 522).

Ainsi, tant la décision de condamnation que le montant de l’amende sont confirmés par le Tribunal et les victimes de l’entente pourront intenter une action en dommages et intérêts jusqu’au 2 février 2027.

Pour plus d’informations sur les actions en réparation du préjudice anticoncurrentiel en France, vous pouvez consulter notre étude publiée par le guide Legal 500, accessible via ce lien : France: Competition Litigation – Country Comparative Guides (legal500.com).