Dans un arrêt publié le 12 janvier 2023 (aff. C-57/21, RegioJet a.s.), la Cour de justice de l’Union européenne renforce le droit d’accès au dossier pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles. Selon la CJUE, une juridiction nationale peut ordonner la production d'éléments de preuve détenus par une autorité de concurrence aux fins de permettre l’exercice d’une action privée en réparation d’un dommage concurrentiel, quand bien même la procédure visant à établir l’infraction a été suspendue par l’autorité de concurrence à la suite de l’ouverture d’une enquête de la Commission concernant la même infraction. Cependant, la juridiction nationale doit s'assurer que la production des éléments de preuve est effectivement nécessaire et proportionnée à l'appréciation de la demande indemnitaire dont elle est saisie.

Il en va différemment des éléments de preuve figurant à la « liste grise », c’est-à-dire les « informations préparées par une personne expressément aux fins d’une procédure administrative ouverte par une autorité de concurrence, les informations établies par cette dernière et envoyées aux parties au cours de cette procédure, ainsi que des propositions de transaction qui ont été retirées ». L’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104/EU, transposé en droit français à l’article L. 483-8 du Code de commerce, et prévoit que les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production de preuves relevant de la liste grise « qu’une fois qu’une autorité de concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure ».

En l’espèce, la Cour constate que le fait que l'autorité de concurrence tchèque ait suspendu la procédure qu'elle avait engagée au motif que la Commission avait ouvert une procédure d’enquête concernant les mêmes faits ne peut être assimilé à la clôture par cette autorité de la première procédure. Dès lors, un tel arrêt de la procédure ne permet pas à la juridiction nationale d'ordonner la production d'éléments de preuve relevant de la liste grise. En effet, la Cour précise que permettre la production de ces preuves « pourrait compromettre, et ce même de manière sérieuse, l’efficacité de cette enquête de la Commission et, partant, les objectifs de [la directive 2014/104].

Les pièces de la « liste noire », c’est-à-dire les déclarations de clémence et de proposition de transaction, bénéficient quant à elles d’une protection définitive et absolue.

En résumé, les entreprises peuvent demander aux juridictions nationales, dans le cadre d’une action privée, la production d’éléments de preuve en cours de procédure devant l’autorité de la concurrence à condition que ces preuves ne relèvent pas des listes « grise » ou « noire ».

Sur le contentieux en réparation des dommages résultant de pratiques anticoncurrentielles, à lire notre contribution dans The Legal 500 Country Comparative Guide Competition Litigation

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