Dans un arrêt du 9 mars 2022 n°19/19747, la Cour d’appel de Paris a eu à connaître d’un litige opposant une entreprise spécialisée dans l'installation, la maintenance et la réparation d'équipements électriques de toutes marques à la société Schneider Electric France et Schneider Electric SA, auxquelles elle reprochait un abus de position dominante. Il s’agissait d’une action stand alone, c’est-à-dire d’une action en réparation du préjudice concurrentiel qui ne se fondait pas sur un constant préalable d’infraction au droit de la concurrence par une autorité nationale de concurrence.

En l’espèce, SHB Electric avait passé commande de pièces de maintenance constructeur auprès de Schneider Electric en 2012, laquelle avait refusé de lui vendre les pièces dites « sèches », c’est-à-dire, sans prestation additionnelle, au motif qu’elles ne pouvaient être remplacées que par « les techniciens Schneider Electric Energy France dûment formés ». Considérant cette pratique commerciale comme constitutive d’un abus d’éviction, SHB Electric sollicitait devant la Cour d’appel de Paris la réparation de son préjudice, ainsi que la cessation de cette pratique.

Concomitamment, l’Autorité de la concurrence s’était saisie des pratiques de Schneider Electric dans le secteur de la maintenance des équipements de distribution électrique moyenne et basse tensions et avait considéré, aux termes de son évaluation préliminaire, que la pratique de vente liée mise en œuvre par Schneider Electric France était susceptible d’être qualifiée d’abus de position dominante. Ainsi, Schneider Electric s’était engagé à assortir la vente d’un nombre significatif de pièces de rechange, pour lesquelles Schneider Electric réservait jusqu’ici l’installation à ses propres techniciens, d’une formation des personnels intéressés (Autorité de la concurrence, Décision n°17-D-21 du 9 novembre 2017).

Dans son arrêt du 9 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a débouté la demanderesse de ses demandes en considérant qu’elle n’avait pas procédé à la délimitation du marché pertinent, condition préalable et essentielle à l’appréciation d’une position dominante. SHB Electric s’était, en effet, appuyée sur la décision de l’Autorité de la concurrence, relevant notamment des parts de marché élevées dans la fourniture d’équipements de distribution électriques en France, pour arguer d’une position dominante de Schneider Electric.

Pour la Cour d’appel, si la Décision n° 17-D-21 de l’Autorité de la concurrence « constate l’importance du groupe Schneider Electric sur les marchés primaires de la fourniture d’équipements de distribution électrique HTA et BT et les marchés secondaires correspondants, [elle] ne retient à aucun moment une « position dominante » du groupe au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE ». En conséquence, il appartenait à la demanderesse de se livrer à une délimitation rigoureuse du marché pertinent par référence au produit acheté et à une sphère géographique, avant d’effectuer la démonstration de la position dominante du groupe Schneider Electric, la décision de l’Autorité de la concurrence ne pouvant suppléer aucune des deux analyses.

Cette affaire démontre toute la difficulté à laquelle se heurtent les victimes de pratiques anticoncurrentielles qui ne peuvent pas s’appuyer sur une décision de sanction de l’Autorité de concurrence ou de la Commission européenne, dont résulte une présomption irréfragable de l’existence de la pratique anticoncurrentielle aux termes de l’article L. 481-2 du Code de commerce. En comparaison avec les follow-on actions pour lesquelles la charge de la preuve est considérablement allégée à raison de cette présomption, les actions dites de stand alone exigent de la victime, outre la preuve du préjudice, une analyse précise du marché pertinent et des pratiques en cause pour rapporter la preuve de l’infraction au droit de la concurrence.

Sur ce sujet, à lire notre contribution dans The Legal 500 Country Comparative Guide Competition Litigation