La Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt le 22 juin 2022 (C-267/20) relatif à une action en dommages et intérêts, fondée sur la directive 2014/104/UE, dite « dommages », en réparation du préjudice causé par le cartel des camions.

Cette action en réparation fait suite à une décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 (AT.39824), sanctionnant plusieurs fabricants de camions pour avoir participé, de 1997 à 2011, à une entente sur les prix des camions.

L’un des acquéreurs de camions, victime de l’entente, avait obtenu réparation de son préjudice devant les juridictions espagnoles, en considérant que le délai de prescription de cinq ans prévu par le droit espagnol, transposant les dispositions afférentes de la directive, était en vigueur au moment de l’introduction de l’action, et donc applicable en l’espèce. A contrario, les entreprises défenderesses faisaient valoir que la directive n’était pas applicable au litige, car elle n’était pas en vigueur à l’époque de la commission de l’entente, ayant pris fin en 2011.

A travers trois questions préjudicielles, la CJUE a cherché à clarifier l’application temporelle des dispositions de la directive « dommages » relatives au délai de prescription des actions en réparation (Article 10), et à l’évaluation du préjudice causé par une entente anticoncurrentielle (Article 17).

Sur la question de la prescription, la Cour considère que « l’article 10 de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle », et non procédurale, ce qui exclut une application rétroactive des dispositions nationales de transposition de cet article.

En outre, la Cour précise que le point de départ du délai de prescription, à savoir la date permettant raisonnablement de considérer que la demanderesse à l’action a pu prendre connaissance des éléments indispensables lui permettant d’introduire une action en dommages et intérêts, devait être fixé, en l’espèce, à la date de la publication du résumé de la décision au Journal Officiel, qui est donc postérieure à la date de la publication du communiqué de presse relatif à la décision, généralement moins détaillé et pas disponible dans toutes les langues officielles de l’Union européenne. 

Dès lors, dans la mesure où le « le délai de prescription applicable à ce recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive » et que le recours « a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national », la Cour de Justice a estimé qu’il pouvait être fait application des dispositions de transposition relatives à la prescription ratione temporis, à savoir un délai de prescription de cinq ans issu de la directive au lieu d’un an dans l’ancien droit national. 

L’interprétation relative au point de départ du délai de prescription pourrait être nuancée en fonction de l’infraction en cause, notamment des abus de positions dominantes ou des ententes verticales, qui par définition sont bien moins occultes que les ententes horizontales. En théorie, les victimes de ces pratiques pourraient potentiellement agir en réparation de telles pratiques avant d’avoir eu connaissance d’une décision de condamnation.

S’agissant de l’article 17, paragraphe 1 de la directive, visant à garantir l’effectivité des actions en dommages et intérêts dans lesquelles il serait très difficile de quantifier le montant exact du préjudice subi, la CJUE reconnait qu’il s’agit d’une disposition procédurale, censée s’appliquer à la date à laquelle elle entre en vigueur dans le droit national. Celle-ci est dès lors applicable au litige introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national.

À l’inverse, l’article 17, paragraphe 2, établissant une présomption réfragable de préjudice causé par une infraction commise dans le cadre d’une entente, doit être interprété en ce sens qu’il constitue une disposition substantielle. Par conséquent, cette disposition n’est pas applicable à ce recours qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions transposant tardivement ladite directive dans le droit national, porte sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci.

Par cette décision, la CJUE continue de fournir les clés d’interprétation de la directive « dommages » utiles aux demandeurs et juridictions qui feraient face à une action introduite après la transposition de la directive dans les droits nationaux, mais pour des pratiques antérieures à la publication de la directive.

Sur ce sujet, à lire notre contribution dans The Legal 500 Country Comparative Guide Competition Litigation.